Venez, allez, n'hésitez pas ...

Laissez- moi vous prendre la main et vous emmener dans mon monde.
Pour quelques instants, quittez ce présent.
Je vous invite au rire, à l'évasion, à sauter à pieds joints dans mon imagination.
Alors, on y va?

vendredi 18 juillet 2008

Derrière l' écran, 5


Sans s’en douter une seule seconde, elle venait de mettre le doigt dans un engrenage dont seul le Destin connaissait l’issue.

Après avoir remis l’ordinateur en marche et l’avoir formée aux rudiments de la comptabilité sur PC, le vendeur de la boutique voisine lui expliqua en quelque séances comment fonctionnait internet.

Elle était toujours heureuse de leurs entrevues.

Quand elle devait le voir, elle soignait sa tenue. Elle troquait son éternel jean usé et son tee- shirt blanc pour un petit pantalon noir qui mettait ses longues jambes en valeur. Elle sortait à cette occasion le seul petit chemisier qu’elle possédait. Un morceau d’étoffe saumon, cintrée, avec de petits boutons nacrés, qui soulignait sa taille fine. Mais de cela, bien sûr, elle n’en avait pas conscience.
Elle n’avait jamais pris le temps de s’observer, de se regarder.
Elle n’avait jamais prêté attention à son visage si blanc et fin, ni la beauté de son grain de peau lisse et parfait. Ses yeux verts se perdaient régulièrement au fond d’un abîme dont elle sortait rarement, ce qui lui donnait un air si particulier, ce petit air absent, si lointain, qui ne la quittait jamais.

Peu à peu ses efforts et son investissement aidant, elle arrivait à se débrouiller seule avec l’ordinateur. Le voisin espaça alors ses visites. Et puis un jour, il ne vint plus. Elle souffrit de cette absence. C’était son seul ami. La seule personne avec qui elle pouvait échanger quelques mots dans la journée, en dehors de son patron et des vendeuses qu’elle rencontrait quand elle faisait ses courses.
Comme un réflexe de survie, elle retrouva le chemin du square lors de la pause de midi.
Elle se gava des confidences des femmes, des jeux d’enfants, pour s’oublier.
Quelques jours plus tard, son patron lui annonça que le voisin allait revenir installer Internet. Lui, le petit cordonnier devait avoir accès au net, cela devenait une priorité. Son copain, le tailleur de l’autre côté de la rue, lui avait raconté que sur la toile, on n’était beaucoup plus proche du client.
Un jour, le patron lui demanda de rechercher la marque d’un fournisseur de cirage. Depuis que le vendeur lui avait montré comment se branchait le web, elle n’avait pas beaucoup navigué sur la toile. Elle tapa « cirage » sur le moteur de recherche et eut une révélation. Après avoir parcouru les pages destinées au produit d’entretien, elle remarqua toutes les pages des forums « je suis dans le cirage », « je ne sais pas comment sortir de ce cirage » « j’ai la tête dans le cirage »… Elle donna les résultats de sa recherche au cordonnier et pendant sa pause de midi, un sandwich à la main, elle s’installa derrière son écran. Elle retapa « tête dans le cirage » comme mot clé. Un nouveau monde s’offrait à elle, à porté de main, juste sous ses pupilles.
Elle lisait avidement, avec une curiosité qui n’était pas feinte toutes ces anecdotes, tout ces morceaux de vie qui s’offrait à elle, qui s’étalait, là sous ses yeux. Elle devint addict.
Elle s’abreuvait à la vie des autres, vivait de toutes ces petites histoires glanées ici et là. Elle en avait besoin pour vivre, sinon, elle se sentait asphyxiée, comme un poisson sans oxygène. Elle pénétrait toutes ces intimités ouvertes sur le monde. C’était son air à elle.
Bientôt, la pause du midi ne lui suffisait plus. Elle en voulait toujours plus. Elle se perdait dans les « solitude », « célibataire », « je vis seule », « mon cœur bat vite », « je ne comprends pas, je suis essoufflée et j’ai un poids sur la poitrine ». Sa soif de vie des autres était sa seule distraction intéressante de la journée. Ce hobby devint si chronophage que le patron verrouilla l’accès à sa porte ouverte sur le monde.
Elle passât alors des journées et des soirées sans saveur. Sa petite vie ne suffisait pas à lui apporter de maigres distractions. Elle tournait en rond, ne pouvait plus se repaître de ce qu’elle avait lu, des malheurs et des joies des autres.
Alors, un jour, elle fit le compte de ses économies. Puis, elle fit le tour des magasins d’informatique. Et un soir, en quittant la boutique, elle fila s’acheter un ordinateur d’occasion. Rien de très performant, juste ce qui lui fallait pour se connecter à Internet. Elle se sentait heureuse et coquine, comme une enfant qui vient de faire une bêtise.

Avant d’éteindre la lumière, allongée dans son lit, elle contemplait les cartons comme une promesse d’avenir radieux. Demain, elle brancherait tout.

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