Venez, allez, n'hésitez pas ...

Laissez- moi vous prendre la main et vous emmener dans mon monde.
Pour quelques instants, quittez ce présent.
Je vous invite au rire, à l'évasion, à sauter à pieds joints dans mon imagination.
Alors, on y va?

jeudi 24 septembre 2009

ECLATS D' AME

_ Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.
Les mots étaient restés suspendus dans l’air, accrochés aux plafonniers blafards, collés aux murs. Le ton se voulait rassurant, mais la phrase était finalement tellement anodine. Elle vomissait ces syllabes gluantes de compassion, au moins dix fois par jour, dans cet interminable couloir aseptisé, à chaque fois qu’elle conduisait un patient au bloc. La petite silhouette blanche s’activait vigoureusement devant le brancard. Quelques mèches folles s’étaient échappées de la longue natte, et derrière les lunettes rondes en écaille, deux minuscules yeux bleus soulignés de cernes m’adressaient un regard frigide.


_Allez ! Faites pas cette tête-là ! Je vous retrouve tout à l’heure ! avait-elle asséné en poussant brutalement les deux derniers battants qui me séparaient du billard.

Et puis, tout était allé très vite. En quelques secondes, le puissant scialytique m’enveloppa d’un halo aveuglant. Des gens s’affairaient tout autour de moi, comme dans une ruche. Le masque à oxygène sur la figure… L’odeur de plastique désinfecté… Compter jusqu’à dix…
_1… 2…

Le trois ne sort pas, reste bloqué dans le fond de ma gorge. Je le pousse, mais il refuse de s’exprimer, de se révéler. Une chaude et douce torpeur m’envahit. Les visages flous tourbillonnent. J’aperçois, comme au travers d’une épaisse plaque de verre dépolie, des bavettes de chirurgiens vertes, blanches, ou bleues à grandes visières, qui ondulent dans une danse rituelle et me narguent. Soudain, le trou noir. Ils ont tous disparu. J’erre seul dans de longs couloirs sombres et sans fin. Quelques éclats de voix parviennent à mon oreille, mais ils me semblent si lointains. Un bip strident et cadencé m’accompagne. J’avance grisé, titubant, noyé dans cet imbroglio de passages, de portes jaunasses désespérément closes. Je me perds dans ce labyrinthe. Je panique, je courre, je m’enfuis, je vole. Le bip jusqu’ici si régulier s’affole. Devant moi, une baie vitrée, de la lumière bleue. Les voix se rapprochent. La fenêtre ne s’ouvre pas. Je suis prisonnier. Je m’enfonce sur la gauche dans un boyau noir mais une force me retient, m’empêche de poursuivre dans cette direction. Face à moi, un homme danse, grimé de dessins ocre et rouge, vêtu d’une jupe de paille, il porte le masque des ancêtres. Sculptés dans ce bois millénaire, des milliers d’yeux m’observent, pauvre âme perdue dans ce dédale. Le mage me fixe, m’attend quand un filet de lumière éclabousse mes pupilles. Soudain, au-dessus de mon corps inerte des regards ondoient, des visages verts, bleus et blancs déformés par la surprise et la peur m’examinent, puis s’égarent dans une farandole folle. Un feu aveuglant et vigoureux réchauffe mes membres et m’élève. Le sorcier me tend la main. Les êtres cachés sous les bavettes stériles s’étiolent et disparaissent. Je marche dans le faisceau lumineux, apaisé, d’un pas lent et décidé, vers un ailleurs incertain. Derrière moi, les marionnettes de ouate beuglent des sons que je ne perçois déjà plus.

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