Venez, allez, n'hésitez pas ...

Laissez- moi vous prendre la main et vous emmener dans mon monde.
Pour quelques instants, quittez ce présent.
Je vous invite au rire, à l'évasion, à sauter à pieds joints dans mon imagination.
Alors, on y va?

lundi 19 janvier 2009

Poussière de craie, 5


Debout à côté de mon pupitre j’attends comme les autres qu’elle nous permette de prendre place. Nos tables sont posées à même la dalle de béton gris. Heureusement que les murs blancs et les affiches donnent à cette pièce un brin de gaieté. Invariablement, après la récréation du matin, une heure est entièrement consacrée à la poésie.
Assise derrière son large bureau, lunettes chaussées sur le bout du nez, la maîtresse parcourt la classe d’un regard circulaire. Ses yeux se posent sur l’élu qui baisse la tête, redoutant la sentence finale. Et puis non, ce ne sera pas celui-là qu’elle va interroger. Pendant qu’elle cherche une autre victime, j’attends en me récitant le poème, comme pour conjurer le sort.

Ce n’est pas un fou rire qui m’avait pris la veille, en apprenant ce satané poème. Après une bonne demi-heure passée à le lire et le relire, j’avais apporté le cahier à mes parents.
- On t’écoute, avaient-ils lâché le sourire en coin, comme s’ils s’attendaient à ce que la leçon ne soit pas retenue correctement.
Je récitais. Je butais. Invariablement. Toujours au même endroit.
Pourquoi est-ce qu’il effaçait tout dans le poème? Je ne comprenais pas et je ne mémorisais pas. C’était si simple.
Je retournais dans la cuisine voir ma mère, pour recommencer. Elle préparait le dîner, sortait des casseroles, faisait rôtir, revenir, blanchir. Assise sur le tabouret en formica, je l’observais et débitais mécaniquement mes strophes. Elle, s’énervait, perdait le fil de sa recette. Je récitais mal mon poème. Vers répétés, ânonnés, torturés, martyrisés, pour ne devenir qu’une succession de mots, de syllabes accolées, vidées de leur sens. Un squelette, en somme, perdu au beau milieu des cuillères de farine et des trois oignons de la recette. Entre une sauce à relever et la cuisson du gigot à surveiller, ma mère non plus ne percevait pas la beauté des vers ni la finesse de l’écriture.

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