Venez, allez, n'hésitez pas ...

Laissez- moi vous prendre la main et vous emmener dans mon monde.
Pour quelques instants, quittez ce présent.
Je vous invite au rire, à l'évasion, à sauter à pieds joints dans mon imagination.
Alors, on y va?

jeudi 12 juin 2008

Derrière l'écran, 3


Elle patienta ainsi une demi-heure. Milles huit cent longues minutes passées à essayer de dissimuler ce grand corps malhabile qui patientait devant une si petite boutique. Elle s’imaginait être la proie de conciliabules de tous les habitants du quartier, cachés, là derrière les petits rideaux étriqués de voile blanc. En si peu de temps, elle n’avait pas encore pris la mesure de l’anonymat de la capitale. Toutes ces vies, liées les unes aux autres par d’infimes liens. Une boulangère, un voisin de palier, la caissière de la supérette. Et pourtant toutes ces existences si individuelles, si égoïstes, juxtaposées.

Elle se tenait là et analysait les chaussures de la vitrine. Sous ses yeux, un mocassin Richelieu, ici une charentaise défraîchie, affaissée, la laine légèrement élimée sur le bout arrondi. Le staccato d’une paire d’escarpins, de l’autre côté de la rue, l’obligeât à se tordre le cou. Elle eut à peine le temps d’apercevoir furtivement une silhouette sylphide, cheveux au vent s’engouffrer dans le bus.

- C’est toi la fille Drectaut ? Questionna derrière elle, une grosse voix masculine et bourrue.

Elle se retourna, encore absorbée par la vision de la frêle silhouette qui disparaissait dans la longue carapace de l’utilitaire de la RATP.
Deux petits yeux noirs la fixaient. Le regard soupçonneux et la paupière froncée attendaient une réponse. L’homme était petit et gras. La tête relevée vers elle, il battait la paume de sa main droite avec une grande clef plate. Son crâne chauve luisait. Les rares cheveux parsemés sur les tempes étaient collés, formant plusieurs paquets de différentes taille. Le polo rayé gris et bleu était moucheté de tâches de graisse, de rouge qui devait être de la tomate. Il sentait la sueur.
- Oh ! Oh ! C’est bien toi la fille Drectaut ?? Magali ??
- Euh, oui, pardon. Excusez-moi. Oui, oui, c’est bien moi.
- Bien. Tu sais, je te demande. Je ne t’aurai pas reconnue. La dernière fois que je t’ai vue, t’étais grande comme ça, précisa t-il en posant sa main dans les airs à hauteur de sa taille.

Il se retourna, fit tourner la clef dans la serrure du rideau de fer et le remonta. Ils entrèrent dans la petite boutique. Le local n’était pas très grand. Un atelier et derrière, une petite pièce, fermée, sans fenêtre, qui servait de bureau.
- C’est là que tu pourras t’installer pour la compta, dit-il en désignant le cagibi d’un mouvement de tête.
- D’accord.
- ça te vas ?
- Oui.
De toute façon, même si ça n’allait pas, ça irait quand même. Ce n’était pas son genre de contester. Alors…
- J’ai besoin de toi tous les jours. On est fermé le samedi. Tu feras mes comptes et si besoin, mon secrétariat. Le matin tu viens pour 8h45 et le soir, tu peux partir à 18h. Et c’est moi qui ferme la boutique !
- Très bien. C’est bien ce qui était convenu avec mon père, risqua t-elle pour terminer la conversation.
Il lui sortit les livres de comptes, les factures, les cahiers, les blocs, les stylos. Il y a avait bien un ordinateur couvert de poussière, mais il ne fonctionnait pas.

Et c’est ainsi que la vie de Magali défilait sous ses yeux.

Chaque jour elle quittait sa chambre pour rejoindre le petit bureau de la pièce jaune. Le midi, le temps d’avaler son sandwich, elle s’installait dans le petit square du bout de la rue, et observait la vie de loin, celle qu’elle n’avait pas. Celle qu’elle n’aurait sans doute jamais.
Elle se noyait pour une petite heure dans les rires d’enfants qui descendent les toboggans, les courses de marmots, les confidences des mamans, des nourrices, qu’elle écoutait d’une oreille attentive. Ici, un mari qui ne fréquente plus le lit conjugal, là une belle-mère qui gère la vie de sa belle-fille, ou un chef de bureau qui ne supporte plus les arrêts de travail pour enfants malades… Elle laissait toutes ces cascades de rires clairs, ces cris, ces morceaux de vie s’engouffrer en elle. Elle s’en imprégnait. Elle faisait siens ces intermèdes volés.
Puis elle reprenait le chemin de la boutique et restait enfermée jusqu’à l’heure de la libération. SA libération. Elle rejoignait alors sa chambre. De temps en temps, elle faisait une halte au supermarché et souriait à la caissière.

Tapie entre ces quatre murs, perdue dans ses quinze mètres carrés, elle était seule. De cette solitude qui vous pèse sur la poitrine et vous fait haleter parfois, en faisant monter les larmes.
Quand elle s’asseyait sur le rebord de son lit ou à table devant son assiette, elle ne pouvait réprimer un profond soupir. Dans ces moments, tout son corps lui pesait. Chaque geste était un supplice, comme si ses os et sa chair étaient empreints de cette solitude trop lourde pour elle. Chaque pore, chaque cellule de son corps hurlaient sa solitude. Tout en elle transpirait la détresse et l’abandon.

C’était une fille, sans rien de particulier, qui traînait son atonie. Quand le soleil se levait sur sa vie, il brillait d’un éclat terne sur sa fade routine.
Et sa vie filait. Elle lui coulait entre les doigts. Tous ces instants précieux disparaissaient. Elle n’en voyait pas l’utilité. Qui était-elle au fond ? Qui se souciait d’elle finalement ? Qui s’inquiéterait de cette silhouette transparente qui avançait le long des murs gris de Paris tel un passe muraille ?

Cela faisait déjà plus d’un an qu’elle s’était installé à Dugommier. Les feuilles de l’automne avaient caressé sa fenêtre dans un vol tourbillonnant. L’hiver avait glacé ses pieds emmitouflés dans d’épaisses couches de chaussettes au fond de la paillasse.
Le printemps qui revenait, le chant des oiseaux le matin lorsqu’elle marchait vers la cordonnerie, lui réchauffaient à peine le cœur.

Sa vie commença à changer le jour où elle s’intéressa à l’ordinateur de son bureau. Celui qui ne fonctionnait pas. Lasse de faire les comptes de la cordonnerie à la main, elle tenta un beau jour de brancher l’ordinateur.
- Te fatigues pas… Marches pas la bécane, avait bougonné le vieux.
On voit bien que ce n’est pas lui qui s’enfile les comptes avait-elle répliqué, dans son cœur. Elle savait qu’elle n’avait rien à attendre de lui. En l’embauchant comme comptable, il rendait service à son père, qui autrefois lui avait rendu service. D’elle, il se fichait comme d’une guigne. Non, il n’y avait rien à espérer de cette mauvaise graine là.
Lui était plutôt satisfait de son employé. Elle en disait rien, ne réclamait rien… Une employée modèle, quoi ! Il était ravi!

1 commentaire:

Virginie Gervais-Marchal a dit…

Bon, pas bien gaie sa vie, dis c'est quand qu'elle trouve un amoureux???

L'ordinateur ça va lui suffire???

La suite, la suite la suite!