Magali était restée prostrée de longues heures sur l’unique table du réduit poussiéreux qui lui servait d’habitat. Quand les sangles du sac à dos élimé lui brûlèrent les chaires, elle se redressa, le visage rouge, buriné par la tristesse, et les yeux secs, faute d’avoir trop pleuré.
La nuit était tombée depuis longtemps déjà. Elle pouvait voir par sa petite fenêtre les lumières de Paris. La féerie du spectacle la laissait pourtant insensible. Elle n’aimait pas la ville. L’air qu’elle respirait à sa lucarne était vicié. Décidément rien ne valait l’air pur de ses montagnes !
Elle s’étira et contempla quelques instants ses maigres affaires puis entrepris de les caser dans la minuscule armoire. Sans réfléchir qu’à Paris elle pouvait dîner à n’importe quelle heure, elle termina pour son premier dîner le paquet de gâteaux que sa mère lui avait donné pour le voyage. Quelques biscuits, un verre d’eau, la solitude, le vrombissement des voitures qui passaient sous sa fenêtre… Elle ne s’y ferait jamais à cette vie. Le sommeil fut long à venir. Alors que la lune était déjà haute dans ce ciel si particulier, teinté d’orangé, elle sombra enfin dans un ténébreux sommeil.
Dans sa petite chambre, une gigantesque vache l’observait. Elle était si volumineuse qu’elle emplissait le logis. A son cou, une cloche en bronze sonnait régulièrement, à chaque mouvement de tête de la bête. L’animal ne se contentait pas de hocher la tête, il lui parlait. Magali, Magali, pourquoi as-tu fuis ? Soudain Magali poussa un cri strident, son cœur résonnait, pétrifié par la peur. Des gouttes de sueur perlaient le long de ses tempes. Elle passa une main fragile dans ses cheveux pour repousser en arrière de petites mèches collées sur son visage. Le réveil, bloqué sur le buzzer, rugissait à intervalles réguliers. Elle respira. Quel cauchemar ! Elle quitta la paillasse qui lui servait de lit et s’empressa de se faire couler une douche.
Jetant rapidement un coup d’œil à ses affaires et ses placards, elle se rendit compte qu’elle devait sortir. Non, rien à faire, elle allait vraiment être obligée d’affronter ce monde, là dehors, juste au bas de sa fenêtre, au pied de son immeuble, derrière sa porte, ce monde grouillant, cette fourmilière géante, où chaque homme avance, se bouscule sans faire attention à l’autre. Elle avait repéré en arrivant de la gare un supermarché à l’angle de la rue en face de chez elle. Avant de sortir, elle fouilla dans la petite enveloppe que lui avait donné ses parents. Toute sa richesse tenait dans un petit rectangle de papier grisâtre. Il y avait ce qu’elle avait gagné en aidant ses voisins et un petit pécule qu’avaient constitué ses parents. Environ 2000 euros. C’était énorme et si peu à la fois ! Elle prit un billet de 20 euros, l’enfonça au fond de sa poche et quitta son réduit.
Elle avait la peur chevillée au corps. D’abord apeurée, elle apprivoisa peu à peu les trottoirs du quartier qu’elle arpenta plusieurs fois avant d’entrer dans le supermarché. Elle pris un certain plaisir à faire ses courses seule. Elle se promenait dans les rayons, le panier au bout du bras, réfléchissant mûrement ses choix. De toute façon, elle mangeait peu et n’était pas gourmande. Elle entassa dans son cabas de quoi tenir quelques jours.
A nouveau dehors, ses achats dans les mains, elle observa la foule devant elle. Des anonymes entraient et sortaient du magasin. Deux personnes assises par terre un peu plus loin, faisaient la manche. Un petit rayon de soleil perça au travers des lourds nuages gris. Elle avait mal dormi. Ses yeux étaient cernés, elle avait encore le cœur lourd d’être seule ici, dans cet environnement hostile, et pourtant, elle sentait souffler en elle, une étrange brise de liberté.
Quelques gouttes tombèrent. Le rayon de soleil disparu pour laisser place à de grosses gouttes. Magali fit le chemin inverse, et en courant, rejoignit sa chambre.
Le week-end entier fut pluvieux, maussade, et froid. Grâce à ses provisions, elle resta chez elle, ne s’autorisant pas une sortie, ne serait ce que pour prendre l’air. La petite radio qu’elle avait amené lui annonçait ce qu’il se passait dans le monde et diffusait ses chansons préférées. C’était bien assez pour une jeune fille qui, allongée sur son lit, laissa son cœur s’envoler deux jours durant vers ses Pyrénées.
Quand lundi matin le réveil sonna, elle se leva. Elle ne voulait à aucun prix être en retard pour son premier jour de travail. A huit heures trente, elle était déjà devant la petite porte du magasin de l’ami de son père.
C’était un tout petit magasin, un peu vieillot. La vitrine était étroite, on pouvait y observer de vieilles chaussures. Le reste du magasin était plongé dans l’obscurité. Au dessus de la porte, on pouvait lire « Cordonnerie Bouchot ». En fermant les yeux, on pouvait sentir les odeurs mêlées de vieux cuirs, de cirage et de renfermé. C’est là qu’elle devait travailler.
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2 commentaires:
Je sens que ça ne va pas être facile la vie pour elle...
ça tu l'as dit ! Et encore tu n'as rien vu!! ou rien lu, plutôt!!
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